mardi 26 janvier 2016

Francophones d'Amérique - et du monde!

Le monde francophone (auteur: aaker)



Le Québec a l'habitude de se percevoir presque exclusivement comme minoritaire, ilot francophone dans une Amérique du Nord anglophone. De nombreux Québécois croient donc implicitement que le français les isole du reste du continent, voire du monde. Or, il n'en est rien.

Prenons un peu de recul et regardons le monde: le nombre de francophones se compte en centaines de millions et est en plein croissance, notamment en Afrique. Le français est diffusé sur tous les continents et la culture française, et plus largement francophone, a largement contribué à façonner l'Occident moderne. Voilà qui commence bien.

Le Québec est donc le maillon nord-américain d'un des réseaux culturels, linguistiques et humains les plus vastes au monde! Le caractère francophone du Québec, loin d'isoler le Québec est sa principale porte d'entrée sur le monde extérieur, au-delà de l'Amérique du Nord. J'aime assez la chronique de Jean-Benoît Nadeau sur la Francophonie au quotidien québécois « Le Devoir » pour son insistance sur ce point. Il n'hésite pas à rappeler que le français relie le Québec au vaste monde. Sa première chronique s'ouvre d'ailleurs sur les mots: « Le Québec n’a pas le pétrole, mais il a sa langue. »  Les franchophones sont un réseau de soutiens et d'alliés que de nombreux peuples peuvent lui envier, à commencer par la France (en donnant par exemple une impulsion importante à la paradiplomatie québécoise), mais pas seulement. C'est un réservoir de croissance sous-exploité (vrai des autres pays francophones aussi).

Mais l'anglais? Et la vaste et puissante Amérique du Nord? L'erreur commise par certains est de croirer qu'être francophones nous couperait du reste de l'Amérique du Nord, voire du monde. Pour les États-Unis et la Canada anglais, vu la l'histoire et la géographie du Québec, on peut considérer qu'il est et proche et partie prenante de la culture anglo-américaine de toutes façons. Nous connaissons bien la manière de penser et la culture de nos voisins, bien mieux qu'ils ne nous connaissent nous, entre autres à travers la quantité énorme de produits culturels qui défèrlent sur nous (et d'autres) chaque année. Ils sont nos voisins et à ce titre des partenaires commerciaux et politiques importants.

Mais au-delà? La francophonie nous rapproche non seulement de l'Europe (où vivent de 70 millions de francophones, dans des États riches et influents) et de l'Afrique (où vivront la majorité des francophones à l'avenir, et en pleine croissance), mais aussi du reste de l'Amérique, hispanophone et lusophone. En effet, nous devons toujours considérer que notre francophonie s'insère dans un réseau latin plus vaste, la « romanophonie », ensemble des locuteurs de langues romanes, liés par l'origine commune de leurs langues, qui les rend leur apprentissage éminemment accessible, mais aussi plus largement à la tradition européenne « continentale », dans la mesure où celle-ci s'oppose à la tradition britannique majoritaire en Amérique du Nord (avec par exemple le droit civil, un individualisme plus tempéré, etc.).

Le monde « romanophone » (auteur: Qyd)
Tout ceci nous permet d'affirmer deux choses:
  • Le Québec est prédisposé à servir de pont entre l'Amérique du Nord et la francophonie, l'Amérique latine et même plus.
  • Le Québec représente la vraie ouverture et la vraie diversité culturelle en Amérique du Nord, en tant que seule société du continent dont la matrice culturelle n'est pas (majoritairement) britannique. 
Au contraire, l'Amérique anglophone, dépositaire, certes, d'une des plus grandes cultures du monde, est, elle, assez largement hermétique aux autres cultures. Elle est certes ouverte à la circulation des individus et au commerce, mais ça n'a pas grand chose à voir. La production culturelle consommée y est ango-saxonne ou du moins en anglais et le reste n'est en définitive accessible qu'aux initiés. L'aprentissage des langues étrangères y est rare. Et ce ne sont pas les soirées passées dans des restaurants chinois, thaïs ou italiens qui y change quelque chose. Rien ne sert dans ces conditions de se gargariser de « multiculturalisme ». D'autres feraient certes pareil et l'effet de masse peut jouer un rôle. Il ne s'agit pas de lancer la  pierre, mais dans le contexte qui nous intéresse, il peut être utile de s'en rappeler.
Autant dire que les Québécois n'ont aucun complexe quel qu'il soit à avoir sur le plan de l'ouverture au monde par rapport au reste de l'Amérique du Nord. Le Québec possède un taux de bilinguisme très élevé. De nombreux Montréalais sont trilingues. On pourrait même faire mieux si on se rendait plus compte encore que maintenant de la facilité d'accès de l'espagnol et du portugais pour les francophones. Il est tout à fait faux d'affirmer que le Québec est coupé du reste de l'Amérique ou du monde en raison de sa singularité. Je crois que c'est tout le contraire.

Plus encore, si le Québec est l'un des États non souverains les plus connus de la planète, il le doit bien entendu à sa francophonie. C'est essentiellement par elle qu'il existe et qu'il est ouvert au monde. Qu'on se le dise!

dimanche 10 janvier 2016

Oui à la paradiplomatie!

Qu'est-ce qu'être un État indépendant, traditionnellement? Bien sûr on pense à l'autonomie interne (choisir ses propres lois), mais plus encore, selon moi, c'est la capacité d'entrer en relation avec d'autres États. C'est d'ailleurs pour ça que la souveraineté d'un État n'a logiquement rien à voir avec une quelconque fermeture. Être indépendant, c'est précisément avoir la capacité de gérer librement ses relations avec l'extérieur et de se représenter soi même. C'est se mettre au contact du monde.

C'est l'une des raisons qui me poussent à considérer que l'un des accommodements les plus utiles aux peuples, régions et États non souverains qui ne peuvent ou ne veulent pas se donner l'indépendance est le développement de ce qu'on appelle la paradiplomatie, c'est-à-dire les relations extérieures autonomes, dans différents domaines, d'entités subétatiques. L'idée est de permettre à ces régions et États fédérés, dans le cadre de leur État souverain, de se constituer une personnalité face au monde, une identité dont ils sont responsables et qui ne s'en remet pas complètement à leur État d'appartenance pour interagir avec le reste du monde.

Cette perspective dessine un compromis réaliste (la paradiplomatie est un secteur en plein développement) permettant une existence autonome face au monde, revendiquée par de nombreux peuples sans États, sans nécessairement remettre en cause les cadres légaux et étatiques existants.
On peut dire que d'une certaine manière, chacun y trouve son compte. Pour l'État tutélaire, cela pourrait rendre probable la remise en cause de l'appartenance de l'entité au pays en lui permettant de le contourner dans certains cas, mais de manière encadrée, et comble en partie l'aspiration à l'existence autonome de cette entité.

Le Québec est d'ailleurs l'un des pionniers en matière de paradiplomatie, avec la doctrine dite « Gérin-Lajoie », qui postule que les compétences conférées au Québec au sein de la fédération canadienne se prolongent à l'extérieur du cadre fédéral canadien et permette légitimement au Québec d'agir à l'international dans ces domaines, ce qu'il fait depuis les anneés 1960.

Même en France, une forme de paradiaplomatie existe, qu'on appelle « coopération décentralisée » ou quelquefois « diplomatie des territoires ». De nombreuses régions françaises ont des stratégies de développement à l'international, notamment pour faire la chasse aux investissements étrangers. Elles signent, de plus, de nombreux accords de coopération avec des collectivités territoriales étrangères diverses, européennes ou non.

La constitution belge donne à ses entités fédérées le droit de gérer leurs relations à l'international dans leurs domaines de compétences respectives.

La Bavière, la Flandre, la Catalogne, le Pays basque ne sont pas en reste en matière de paradiplomatie, sans compter des provinces canadiennes telles que l'Alberta, la Colombie-Britannique et l'Ontario. C'est une tendance importante et relativement peu connue des relations internationales actuelles. Elle est toutefois parfaitement logique car de nombreux domaines de gouvernance actuelle, à plusieurs niveaus, nécessitent des actions à l'extérieur.

Plusieurs provinces dont le gouvernement libéral du Québec, ont d'ailleurs rappelé leur attachement à une représentation autonome de leurs intérêts en participant de manière visible à la COP 21 à Paris et ce, en bonne intelligence avec le gouvernement fédéral.

Au Canada, le fait paradiplomatique, pratiqué par le Québec mais aussi par les autres provinces, est dans la pratique toléré. Il n'a jamais été remis en cause de manière frontale au niveau fédéral. D'ailleurs, la Loi constitutionnelle de 1867 n'attribue pas spécifiquement la responsabilité des relations extérieures au palier fédéral (même si on peut considérerer que cette attribution était implicite dans le Statut de Westminster de 1931 - sans toutefois porter préjudice à la capacité des provinces à le faire elle aussi).

En attente d'une majorité favorable à la souveraineté du Québec (si c'est ce que les Québécois veulent), une paradiplomatie active permettra de « faire comme si », tout en restant à l'intérieur de la fédération canadienne. Un Québec qui parle au monde sans abandonner le lien canadien... À la lumière de l'attitude des Québécois face à la perspective de la souveraineté, c'est-ce pas finalement ce qu'ils ont, en un sens, toujours voulu?

Bonheur des « petites nations » et régions particularistes?

Les temps modernes sont-ils au bonheur des « petites nations », régions particularistes à l'autonomie plus ou moins développée?

À l'heure où les États-nations établis voient leur pouvoir relativisé (mais pas leur pertinence anéantie, comme nous l'avons vu dans le message précédent, et comme nous le verrons d'ailleurs probablement plus tard), l'une des évolutions de ces dernières décennies est l'émergence de nouveaux nationalismes et régionalisme subétatiques.

On pensera bien sûr au Québec, mais aussi au Pays basque espagnol, à la Catalogne, à l'Écosse, au Pays de Galles, à la Bretagne, jusqu'à un certain point à l'Alsace (ces derniers semblaient - jusqu'à la triste disparition de leur région par un coup de crayon technocratique - pratiquer un régionalisme à la fois efficace mais hyperdiscret). On peut aussi parler du Tyrol du Sud en Italie (région germanophone prise à l'Autriche après la Première Guerre Mondiale), sans parler des nationalismes postsoviétiques, etc.

Dans bien des cas, il est facile de comprendre l'attrait des petites nations pour leurs membres. Bien sûr, le sentiment identitaire s'appuie assez sur des contentieux historiques, comme au Québec, mais j'ai une théorie parallèle, complémentaire.

La plupart des humains appartiennent à plusieurs sphères identitaires, ce qui est normal et souhaitable. Jusqu'à un certain point, ils « magasinent » une identité valorisante entre les différentes options qui leur sont offertes. C'est d'ailleurs à mon sens l'un des ressorts principaux de l'assimilation culturelle, sur laquelle il faudra revenir plus tard.

Alors que de nombreux Français sentent leur pays décliner (en partie à tort) ou relativisé (à raison), pour de nombreux régionalistes, c'est l'occasion d'exprimer un sentiment latent d'identité locale éclipsé par la force de la construction nationale. 

Cette expression de sentiments locaux est d'autant plus valorisante que lesdites « petites nations », quelquefois confortées par des succès économiques récents (Pays basque, Catalogne, Bretagne) n'ont à peu près rien à perdre.

Prenons la Bretagne. Comme toutes les régions françaises, son autonomie est faible. Son histoire assez récente la place dans une position périphérique par rapport à Paris, tant d'un point de vue géographique que culturel. Le breton est n'est parlé que par une minorité. Mais aujourd'hui (et malgré de récents soubresauts), c'est une région qui réussit plutôt : championne en éducation, chantre de la celtitude (ce qui la désenclave culturellement pour la rendre membre d'une communauté « celte » européenne s'étendant aux iles britanniques)... Son autonomie ne peut qu'augmenter tendanciellement, tant elle était et reste faible. Sa langue, presque morte, ne peut « que » renaitre (même si j'en doute en réalité, étant donné qu'il est presque impossible de revenir sur des changements linguistiques de ce type, mais c'est pour illustrer l'attitude générale). Elle peut s'imaginer que le destin de la France la concerne peu, particulièrement en période de difficultés.

Lorsqu'on est à terre, on ne peut que se relever. Se faire connaitre du monde.

Cela empêche-t-il un sentiment d'appartenance à un État-nation? Pas nécessairement. Pensons à l'Alsace, aux tendance particularistes clairs, et pourtant attachée à la France, et même le Québec n'a su se donner l'indépendance, à deux reprises. La Bavière se veut très autonome et ne cherche pas à s'extraire de la République fédérale. De plus, alors qu'on entend souvent dans les médias français qu'il y aurait un lien de causalité entre le niveau d'autonomie et les revendications indépendantistes (les premières étant à la source des secondes), il est bien plus probable que le lien soit inverse. On accommode des régions précisément parce que l'identité locale y est forte, c'est le moteur du désir d'autonomie. D'ailleurs, pourquoi ce sentiment serait-il nécessairement illégitime? Rien de tel qu'une union politique non consentie pour alimenter les ressentiments entre groupes.

Bien des régions particularistes et autonomistes semblent être, bien plus qu'en quête de fermeture, à la recherche d'une ouverture sur le monde à l'extérieur de leurs frontières nationales et d'une reconnaissance de leur personnalité propre. En Europe, cela se reflète entre autres par la profonde europhilie de ces régions, qui vient dans l'UE un tremplin vers une certaine émancipation, transcendant les frontières nationales. La conjonction régionalisme/fédéralisme européen, souvent incomprise hors de ces régions, est une position d'une certaine cohérence.

Est-ce à dire qu'il y a incompatibilité entre ces régions et les États auxquels elles appartienent? Je ne le pense pas. Mais le besoin d'autonomie et d'expression de soi reste légitime, et peut bien heureusement trouver de nombreux exutoires, qu'ils soient politiques, culturels, économiques ou autres. D'ailleurs, la sécession semble être une issue rare. Elle ne s'est d'ailleurs pas produite depuis des décennies en Europe de l'Ouest démocratique (l'indépendance de l'Irlande date de près d'un siècle). L'exemple le plus récent, le référendum en Écosse, organisé dans un cadre « idéal » (règles acceptées tant par Londres qu'Édimbourg), nous l'a rappelé récemment.