vendredi 21 décembre 2012

Inégalités linguistiques

L'aménagement linguistique de toute organisation humaine est loin d'être une simple affaire de "pragmatisme de communication". C'est une affaire de rapports de domination. Celui qui peut parler sa langue maternelle sera toujours en position favorable face à ceux pour qui elle n'est qu'une langue seconde.

Les États européens devraient promouvoir leurs langues de manière beaucoup plus active, à commencer par chez eux. C'est particulièrement vrai aux pays qui parlent des langues qui peuvent prétendre à un statut international (français, espagnol, portugais), mais c'est vrai des langues de toute taille. Je crois d'ailleurs que la pratique assurée de sa propre langue est un facteur primordial de confiance collective. 
Le tout-à-l'anglais est un facteur de dévalorisation de des peuples et des individus non anglophones, qui se voient sans raison valable périphériser ou provincialiser, linguistiquement, mais aussi de façon plus large culturellement. L'exemple parfait est la gestion macroéconomique des 20-30 dernières années, fondée essentiellement sur les dogmes économiques propagés par des revues anglophones (ex. The Economist). 
Il n'en tient pourtant qu'à nous de penser par nous-mêmes.

Qu'on songe aussi à ces études démontrant, dans une entreprise allemande, que les ingénieurs allemands ne s'exprimant pas dans leur langue (devinez laquelle) osaient moins fréquemment faire part de leurs idées en réunion du simple fait de la barrière linguistique. À trop pousser l'usage de l'anglais dans ces entreprises, on fait porter la sélection moins sur la compétence professionnelle et plus sur la compétence linguistique - natale - ce qui peut tendre à renforcer la sélection de personnes unilingues relativement moins compétentes face à d'autres plus compétentes et - modérément - bilingues... Une prime au moins-disant ! Le monde à l'envers !

En matière de langues, nous devrions d'un côté, promouvoir nos propres atouts (la francophonie, mais aussi les ensembles linguistiques "amis" comme l'hispanophonie ou la lusophonie) et non seulement ceux des autres (ex. cursus en anglais dans les universités), a fortiori ceux qui de plus tendent à s'opposer aux nôtres. Faut-il s'étonner de connaître des difficultés lorsqu'on n'essaie même pas de réussir ? L'autre piste, c'est de diversifier grandement l'exposition aux langues étrangères. Pourquoi pas alors des cursus en espagnol ? En chinois ?

Le tout-à-l'anglais mène à une vision étroite du monde. On n'est pas "international" par le seul fait d'être anglophone. Au contraire, les pays anglophones étant ouverts aux individus, mais peu ouverts aux autres langues et aux produits culturels qui leur sont liés. C'est le multilinguisme (pas nécessairement dans la même personne, mais socialement parmi une certaine élite) qui permet une vision équilibrée, ouverte, diversifiée et respectueuse des autres et de soi-même...

Dans le cas du français, l'une des pistes est la solidarité avec les autres pays de langue romane. Il faut encourager leur apprentissage, rapide au demeurant et s'assurer que dans la mesure du possible, toute interaction économique, politique ou académique un tant soit peu officielle se fasse prioritairement dans une langue romane au moins.  Pour être une langue de communication internationale, il faut en favoriser la pratique à ce niveau...

Les rapports de force, qu'ils soient économiques, politiques, linguistiques ou culturels (ou tout à la fois) ne sont pas toujours aisément modifiables. Mais une chose est sure : ce n'est pas en organisant son propre déclassement et en se dévalorisant qu'une collectivité humaine se construit un avenir prospère. Et dans un monde où de nombreux pays ou région tente de tirer son épingle du jeu, il faut bien sûr coopérer mais aussi défendre ses intérêts sans défaillir. Ceux qui ne l'auront pas fait ne pourront pas ensuite s'étonner de leur insuccès.